En 2008, j’ai eu le plaisir d’être invité à montrer une partie de mes travaux d’affiches pour la communication du Centre Pompidou à Paris et celle du Secours Populaire Français, dans la Galerie Momayez à Téhéran et d’y prononcer une conférence sur les conditions de la création graphique en France.
Le mot « plaisir » est très approprié, car j’ai pu à cette occasion mesurer l’enthousiasme avec lequel la jeune génération étudiante, garçons et filles confondus, est aujourd’hui passionnée par cet art de la rue. Combien cette pratique des images publiques sur des sujets d’intérêt général les concerne et les questionne.
Rien d’étonnant pourtant dans cette vitalité de la jeunesse, quand on connaît l‘histoire récente du design graphique en Iran.
Précédée d’un patrimoine artistique et traditionnel prestigieux, la rhétorique visuelle dans les images modernes a été inaugurée en 1968 dans le cours de Momayez à l’Ecole des Arts Décoratifs. Depuis, tout au long des quarante années qui ont suivi, l’art graphique iranien s’est enrichi d’une multitude de facettes. Porté et amplifié par des graphistes aux talents spécifiques et variés, il est aujourd’hui l’une des composantes incontournables du design graphique contemporain.
J’en prends pour preuve et pour totem, la petite affiche clef de Morteza Momayez crée en 1977 et titrée « POSTER ART IN IRAN ».
Une surface de briques inégales et usées, éclairé par une lumière noire, blanche et violente offre le décor de notre enfermement dans l’ordre social existant. Flottant, intemporel, un petit crayon d’un bleu nuit profond à la pointe vert émeraude, s’y promène doucement. Il vient caresser de sa silhouette gigantesque mais douce et modulée, la surface minérale qu’il ignore avec sagesse. Et c’est le miracle : un quartier de lune surgit, trouant par sa lumière le quotidien minéral-carcéral. A tous, cette image dit la force fragile de l’art. Elle convoque le poète en chacun. Elle annonce et/ou confirme l’utopie partagée d’un bonheur humain possible, à mettre en œuvre quotidiennement.
Je sais aujourd’hui que mon travail venu d’ailleurs, nourri d’une autre tradition et d’une culture aux racines différentes, tente, avec ses propres moyens d’énoncer étrangement la même vérité.
C’est peut-être dans cette recherche de lucidité qu’il faut chercher le plaisir que j’évoque en me remémorant l’enthousiasme des jeunes iraniens et iraniennes pour les travaux de mon atelier ? Quoi qu’il en soit, un homme est à remercier chaleureusement pour l’avoir inaugurer en son temps avec grandeur, brio et ténacité, c’est grâce à lui que j’ai pu à mon tour éprouver ce plaisir universel à Téhéran : Merci à Morteza Momayez.
Pierre Bernard
21-10-2012